Comment définirais-je le monde en quelques mots?Un lieu peuplé d’hypocrites et de menteurs.Chaque jour, c’est toujours la même chose: nous croisons des gens qui font semblant d’être des personnes qu’ils ne sont pas pour recevoir les éloges d’autrui. Au fond, ils semblent beaucoup trop heureux de se vanter de leurs petits exploits qu’ils en viennent à oublier de se préoccuper du reste. Nous vivons dans un monde d’hypocrites où les gens préfèrent agir comme si la vie qui leur était destinée était parfaite alors que rien ni personne n’est parfait. On vit dans un monde où, chaque jour, on se compare et on est comparé aux autres. Mais ne nous rendons-nous pas compte qu’en agissant ainsi, nous nous empêchons nous-mêmes d’être ce que nous sommes vraiment?Au fond, nous ne sommes qu’une bande de menteurs qui se mentent à eux-mêmes et aux autres dans le but de se sentir comblés.Nous nous privons d’être qui nous sommes réellement pour satisfaire les normes sociales et être acceptés.Mais au final, pour nous sentir comblés, ne devrions-nous pas simplement agir librement sans le poids de nos mensonges nous permettant de fuir notre réalité?
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J’ai appris, il y a longtemps de cela, qu’il valait mieux mentir pour éviter des disputes avec mes parents. Ces derniers pensent constamment que je leur ferai honneur en devenant un grand médecin lorsque j’irai étudier à Harvard. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que je n’en ai rien à faire d’aller étudier dans cet établissement. Mis à part être heureux, je n’ai jamais eu de rêve pour mon avenir. Je croyais que jamais je n’arriverais à être heureux, mais cela changea soudainement lorsque je rencontrai Serena en cette fin d’après-midi 15 avril. Ce jour-là, la vie avait modifié ma routine habituelle: des travaux sur la route avaient engendré des retards d’autobus, ce qui fit qu’en entrant dans le mien pour retourner chez moi, il était bondé de gens. Le résultat: je ne pouvais pas m’asseoir à cette place que je prenais toujours. J’avais alors deux options: rester debout ou m’asseoir à côté de quelqu’un. J’optai pour le deuxième choix en voyant une place disponible à côté d’une jeune femme qui semblait avoir mon âge.
« Excuse-moi, est-ce que je peux m’asseoir avec toi? lui demandais-je. »
Elle leva les yeux vers moi, les baissa pour mettre son marque-page dans son livre, puis se retourna vers moi en retirant son sac du banc près d’elle.
« Oui, bien sûr.
-Merci. »
Je me sentais totalement déstabilisé par cette modification soudaine de ma routine habituelle, mais je me décidai à me résigner de ce chamboulement de ma routine si ancrée en moi. C’est alors que la fille, qui se trouvait à côté de moi, se mit à me parler.
« Que penses-tu de l’éthique utilitariste? me demanda-t-elle.
-Euh, quoi?
– L’éthique utilitariste. L’éthique selon laquelle il vaudrait mieux maximiser le plaisir, et ce, même s’il faut faire le mal.
– As-tu un exemple pour moi?
– Est-ce que tu crois que le sacrifice d’une personne serait justifié si cela lui permettait d’en sauver neuf autres? Le plaisir serait la survie de ces neuf personnes puisque le plus grand plaisir est la vie.
– Selon moi, oui, son sacrifice serait justifié.
– Mais n’est-ce pas triste pour toi de penser qu’une personne mourrait?
– Oui, mais on va tous mourir un jour.
– Mais comment peux-tu penser comme ça? Ça reste que c’est une vie humaine en moins!
– Mais au moins, neuf autres seraient sauvées.
– Oui, mais ça serait bien qu’il y ait un moyen pour sauver les dix personnes. »
Puis, sans ajouter un mot, elle se replongea dans son livre. Pour le reste du trajet, ni elle ni moi ne discutâmes, mais juste avant de partir, elle me lança:
« Au fait, je m’appelle Serena.
– Dawson.
-Alors, à peut-être une prochaine fois, Dawson. »
Puis, sans rien ajouter, elle rassembla ses affaires. Je me tassai du chemin pour la laisser sortir de l’autobus qu’elle quitta rapidement. Comment se faisait-il que, pour une première fois, j’éprouvasse une sorte de bonheur par rapport à la vie? Sans s’en rendre compte, la jeune femme aux cheveux dorés et aux yeux d’un bleu hypnotique m’avait fait prendre conscience que la vie avait une certaine importance qu’il ne fallait pas négliger. En rentrant chez moi ce soir-là, je me couchai avec un sourire timide aux lèvres.
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Durant les quelques jours qui suivirent cette rencontre, je ne croisai plus cette fille qui m’avait tant chamboulé en ce jour du 15 avril. C’est alors que je me décidai à forcer le destin pour la revoir et ainsi je repris le bus qui suivait celui que je prenais d’habitude et miracle, je pus la revoir enfin.
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C’était devenu une sorte de tradition pour moi que de retarder mon arrivée à la maison pour voir cette jolie blonde tous les après-midis. Un jour, alors qu’il pleuvait, elle me demanda ce que je voyais en regardant le ciel.
« Je vois des nuages sombres et de la pluie, lui répondis-je comme s’il s’agissait d’une évidence.
– Tu ne vois que le négatif, me souffla-t-elle, déçue. Moi, je vois plutôt le présage que le soleil reviendra encore plus beau et encore plus fort après cette petite averse. »
Elle était comme ça, ma Serena. Elle était aussi précieuse que ce puissant rayon de soleil qui réussissait à briller malgré tous les nuages autour d’elle.
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Avec Serena, c’était toujours comme ça: nous avions de petites discussions qui me retournaient le cerveau et me faisaient réfléchir à la vie d’une nouvelle façon. Elle m’aidait à reprendre goût à la vie. Serena était différente des autres, elle n’avait pas ce besoin d’agir à l’encontre de qui elle était réellement dans le but d’être appréciée des êtres qui l’entouraient et c’était ce que j’admirais d’elle. C’était un peu aussi ce que je lui enviais, mais grâce à elle, je pus prendre conscience que je voulais être différent et ne pas me laisser emporter par l’influence des gens autour de moi en m’enfouissant sous des mensonges pour être accepté. Mes parents, par exemple, ne semblaient pas comprendre que je me forçais chaque jour à faire des études pour les rendre fiers de moi lorsque, pour eux, je deviendrais médecin. Mon seul but était de devenir heureux, mais je m’empêchais de le réaliser en priorisant leur bonheur. C’est grâce à la façon d’être de Serena que je me décidai à leur avouer que je ne voulais pas devenir médecin, mais plutôt musicien même si, pour cela, je devais déménager pour faire mes études à Julliard.
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Les semaines passèrent et les résultats d’université arrivèrent enfin. J’étais accepté à Julliard et je déménagerais donc à New York. Cette grande nouvelle signifiait également, avec la fin de l’année scolaire, mon dernier trajet d’autobus auprès de ma douce Serena. Et étonnamment, comme si elle le savait déjà et qu’elle en était attristée, le trajet se fit dans le plus grand des silences entre elle et moi. Je voyais son arrêt arriver et, sans plus attendre, j’engageai la discussion.
« Tu sais, c’est sans doute mon dernier trajet dans cet autobus avant longtemps. Dès demain, je pars pour New York.
– Oh, c’est dommage, j’aimais beaucoup ta compagnie.
– Crois-tu que nous nous reverrons un jour? »
Je lui posai cette question avec l’espoir quelconque qu’elle me donnerait son numéro pour que l’on garde contact. À cette demande, elle me fit un sourire avant d’ajouter: « Seule la vie décidera de cela ». Puis elle se leva, sortit du bus dont les portes se fermèrent derrière elle. Je regardai par la fenêtre et nous nous sourîmes simplement.