Vision Sfumato
Sans titre

Sans titre

Par Anouk Lefebvre

J’ai de plus en plus l’impression d’être résignée. Les choses ne changent pas vraiment, les choses ne changent pas réellement. Je le réalise à chaque lecture, à chaque approfondissement, à chaque nouvel élément féministe qui se présente à moi. Je le vois maintenant dans mes relations interpersonnelles, mes décisions et mes pensées.

Je suis épuisée d’entendre ma mère dire qu’elle a pris du poids et qu’elle n’est pas assez belle pour mettre une robe, parce qu’elle doit mettre une robe, surtout.

Je suis brisée à l’idée de délaisser une passion parce qu’elle ne me procurera pas assez d’argent pour fonder une famille, parce que je dois former une famille, naturellement.

Je suis perturbée de constater que je devais faire semblant d’avoir du plaisir lors de mon dernier rapport sexuel, parce que je dois penser à lui et non à moi, précisément.

La femme doit faire, doit satisfaire, doit plaire, doit accomplir, doit combler, doit, sans qu’on ne lui en demande plus. La femme doit, pour l’homme. Le premier passe avant le deuxième. Le deuxième est présent pour le premier.

Simone de Beauvoir a écrit son essai Le deuxième sexe en 1949. Lili Boisvert a écrit son essai Le principe du cumshot en 2017. Soixante-huit ans se sont écoulées entre ces deux essais féministes et rien n’a changé. Oui, mais non. Tout cela est encore très creux et profond dans notre société. La base n’a pas évolué, bien que la surface se soit un petit peu adaptée. Donc, ai-je raison d’être pessimiste, ou j’ai seulement mes règles et « du sable dans le vagin » comme dirais Mariana Mazza? Est-ce que la femme est résignée ou il y a encore de l’espoir? Peut-être que mon désir de voir la femme finalement égale à l’homme est trop utopique et que je ne suis pas pessimiste, mais trop optimiste dans l’impossible.

Je ne peux m’empêcher de voir la publicité qui m’entoure et par conséquent, toujours envier une plus belle garde-robe, une plus grande féminité ou une silhouette plus fine. Je ne peux pas aller sur l’autoroute, prendre mes messages où regarder la situation mondiale sans être bombardée de pubs et j’en deviens claquée. La publicité doit avoir un message clair, net, simple, précis, concis, misogyne. Oups… Le dernier m’a échappé. Évidemment, la mode, le maquillage, la nourriture, l’alcool, la technologie, les emplois et tout ce qui englobe la publicité doit être fructifiant, rapporter de l’argent et être sujet à prospérité. Vous me diriez qu’il y a de bons côtés et que cela nous permet de nous identifier et d’avoir un certain sentiment d’appartenance et je vous répondrais qu’ici, il n’est pas question de ce « bon » sentiment que nous apportent les stéréotypes. Je vous répondrais qu’ici, il est question de profit et que l’individu n’est pas pris en compte, que la femme n’est pas prise en considération parce que son objectification nous fait oublier ses sentiments. Je vous répondrais qu’il ne faut pas mélanger les choses et encore moins faire de doubles standards, parce qu’ici, il est question du capitalisme maladif qui nous rappelle constamment que nous devons être comme ceci ou comme cela et faire comme ceci ou comme cela. N’étant pas seulement toxique pour l’individu, le rapport de force entre l’homme et la femme est accentué et conservé. Cela devient normal d’associer alcool et femme parce que les deux apportent plaisir à l’homme. Suis-je si semblable à une bouteille d’alcool et seulement présente pour apporter une bonne soirée à un homme? Je crois, ou du moins j’espère, être plus qu’une p’tite bière entre chums parce que je ne serais pas prise en considération, je passerais en deuxième, évidemment.

Je ne peux m’empêcher de me résoudre à l’ouverture que mon vagin offre aux hommes, de mon impossibilité à le fermer et de la possibilité qui leur est offerte d’entrer en moi. Parlant à la fois de culture du viol et de féminisme (deux choses assez faciles à associer), j’ai le sentiment que mon vagin, même s’il est intérieur à moi, m’apporte moins de pouvoir que si j’avais un pénis, bien que ceux-ci soient extérieurs aux hommes. Ai-je moins de mérite parce que mon vagin est, en fait, comme un trou? Les femmes ont un vide en elle qui est fait pour être comblé par les hommes? Je ne crois pas, mais peut-être que cela est ce que les agresseurs masculins et la société pensent de la femme. « Elle ne peut pas s’autosuffire, elle a un trou à remplir! » L’homme entre une partie de lui en la femme et repart ensuite en s’étant gardé intact, le pénis repart. La femme accueille une partie de l’homme en elle et se laisse envahir en gardant cette irruption par la suite, le vagin garde le sperme et il peut même se diriger jusqu’à l’utérus. Bon, le condom est souvent utilisé, certes. Il reste tout de fois vrai que le vagin s’est fait pénétrer, il y a eu intrusion. Vous me diriez que des hommes se font aussi agresser sexuellement et que les femmes peuvent elles aussi abuser mentalement des hommes et je vous répondrais qu’encore une fois, il ne faut pas faire de doubles standards, que n’importe quelle situation d’abus est inacceptable et regrettable et qu’il est important de dénoncer ces abus, peu importe leur nature. Je ferais aussi la parenthèse que je ne prône pas une objectification de l’homme, mais dénonce celle des femmes (il faut tout de même préciser, il ne faudrait pas que la masculinité fragile et toxique comprenne le message de travers). Ensuite, j’ajouterais cette petite analogie :

Une personne reçoit des invités dans sa demeure. Tout doit être organisé, prêt et disposé à cet accueil pour que la personne recevant les invités soit confortable à cette visite. Si la table n’est pas encore mise, s’il reste quelques petites choses à clarifier, la personne a tout à fait le droit et le pouvoir de garder sa porte fermée avant de les accueillir.

Alors, si nous comparons la personne à une femme, sa demeure à son vagin et les invités à un pénis, il est bien regrettable de constater que la femme n’a aucun pouvoir quant à la fermeture ou l’ouverture de son vagin. Je vous dirais donc qu’il y a une attention particulière à mettre aux personnes qui n’ont pas cette possibilité de fermer et d’ouvrir leur porte lorsqu’elles le désirent, parce que cette ouverture est objectifiée, rappelons-le. La supériorité donnée à l’homme et son pénis est simplement normale, puisque la femme ne détient pas un grand pouvoir sur son zipper.

Je crois que je suis un petit peu plus perdue que je ne l’étais au début. Je crois par contre que cela est normal, parce que même en tant que femme, j’ai l’impression que tout cela me dépasse et que ce n’est pas en mon pouvoir de changer le tout. Cependant, si ce n’est pas en mon pouvoir, cela est en celui de qui ou de quoi? Le capitalisme? Les grosses compagnies? Le politique? Pourquoi pas le nôtre, celui des femmes et des hommes, ensemble? Pourquoi ne pouvons-nous pas nous allier afin de changer ce statu quo? Mais est-ce que nous voulons vraiment cette alliance, sommes-nous prêts?

Trop de questions, trop peu de réponses, je m’en excuse.

Sur cet élan, non, je n’ai pas mes règles ou de sable dans le vagin. Je suis pessimiste, parce que je ne vois pas comment je pourrais être optimiste. Je me sens résignée et je crois bien l’être.

C’est déjà ça de réglé.