Poison divin
Poison divin

Poison divin

Les femmes ne peuvent pas prendre le pouvoir, il leur est donné par les hommes. Un cadeau souvent empoisonné. Par la grâce des dieux et le baiser céleste des déesses, j’ai pris en main ma destinée et j’ai conquis ce qu’un homme n’aurait jamais pu s’offrir: le vrai pouvoir. Celui du ciel et de ses infimes particules, celui de la vie et de la mort, celui de l’immortalité!

Je marchais droit vers ma prison sous un ciel noir éclairé par des lucioles blanches. Lentement, doucement, j’ai regardé Silas. Cet homme que je mariais n’avait rien de bon. Il était un roi nouvellement couronné, une brute cruelle qui allait certainement me mener à la mort. J’avais été forcée de le marier, je n’ai jamais eu le choix. J’ai signé ce pacte avec le diable avec la douceur de mes lèvres. 

À l’intérieur de son palais de marbre, Silas m’a conduite dans une chambre plongée dans la pénombre. Je voulais fuir, crier, hurler, mais mon esprit était paralysé. Je vivais à travers mon corps qui ne répondait pas à mes commandes. Mon mari prit ma main et déposa un baiser sur son dos. 

— Ma reine. 

Je rougis de rage à ces mots glissés hors d’une bouche si séduisante, mais si malicieuse. Je voulais en finir le plus tôt possible. 

Les yeux vert émeraude de Silas se posèrent sur moi et avec curiosité ils plongèrent dans le décolleté de ma robe perlée. Puis ils se promenèrent sur tout mon corps avant de revenir à leur point de départ. Silas tourna autour de moi sans jamais détourner le regard de mes yeux d’un démoniaque doré qui le suivaient. Il me dominait par sa grandeur impressionnante et son imposante prestance. L’homme désormais derrière moi était entouré d’une sombre aura à la délectable odeur du désir. De sa main, il prit mon poignet et me tira rapidement face à lui. Son souffle vibrait contre ma peau et ses yeux pénétraient mon âme.  

— Je ne te toucherai pas sans ton accord, Iness. 

À ces douces paroles, ma bouche s’est entrouverte et j’ai libéré l’air que je retenais dans un faible soupir. Je suis montée sur la pointe des pieds et j’ai embrassé furieusement Silas. 

Nuit après nuit, j’abandonnais un peu plus une partie de moi-même en acceptant avec mépris que mon cœur était condamné. L’amour n’a jamais été beau. Il ressemble à de l’art et l’art n’est pas destiné à être beau, mais plutôt à nous faire ressentir quelque chose. Je ressentais plus d’émotions qu’une personne ne devrait au cours de toute une vie. J’étais emportée par un ouragan. J’étais frappée par de violentes secousses de vent. Mais surtout, j’étais prise entre la haine et l’amour. C’était un sort insupportable. Pourtant, j’aurais fait n’importe quoi pour avoir la chance de goûter éternellement à ce cruel, douloureux et hypocrite amour qui m’apportait un chaleureux réconfort. Seulement, comme tous les autres, je fus odieusement trompée. L’attitude progressivement distante de Silas et ses nombreuses maitresses me retiraient mon sommeil et m’infligeaient un sentiment de désespoir.  

Seule, j’étais tourmentée par mon désarroi. Ainsi, je me retourne vers les grandes déesses. Je me suis installée sur mon balcon végétal qui donnait vue sur la cité de Sparte et j’ai prié. J’ai demandé à Artémis le cadeau de la protection et la liberté, puis conseil et sagesse à Athéna, la maitrise de l’art de la séduction à Aphrodite et le bonheur de la maternité à Héra. Mais leur réponse fut bien plus généreuse que ce à quoi je m’attendais. Elles me montrèrent le chemin de la gloire et je pris sans hésitation tout ce qui était à la portée de ma main. Je pris une petite part de pouvoir à chacune des déesses qui m’apportait son aide. J’ai aspiré divinement chaque poussière sacrée avec l’énergie de mon corps, je me suis nourrie du sang des étoiles et de l’essence du soleil. Je me suis emparé de la lumière éclatante de la lune et de la brise vivifiante du doux vent. 

J’étais incapable de m’arrêter, j’étais possédée par le désir. 

Lors d’une nuit froide, je me suis promenée dans les rues enjouées de la cité. J’ai flâné jusqu’à la majestueuse demeure de mon père, le roi Ambroise qui partage la couronne dans cette oligarchie qui dirige notre société. Doucement, une brise m’a guidée vers l’entrée, puis vers les quartiers de la reine Éléonore. Mon ombre rampait sur les murs qui renfermaient une douce chaleur. L’air extérieur était exceptionnellement glacial. C’était la vie et la mort en ce monde qui se livraient à un combat sanglant. Ma mère surgit du noir et je fondis en larme. Je me suis écroulée au sol et j’ai laissé la tension qui me dévorait me libérer de son emprise. Mes yeux brulaient de souffrance et mes lèvres tremblaient de terreur. J’avais peur de ce que je devenais, je craignais cette chose qui me possédait. J’étais en train de me transformer et la confusion me rongeait de l’intérieur. Je ne comprenais pas ce qui se produisait. J’avais sacrifié mon âme mortelle pour un échantillon d’espoir. La solitude. Elle avait pris le contrôle de mon être et je l’avais laissée faire. Pendant un instant, je me suis sentie impuissante et faible. Mais j’ai rapidement réalisé, à mon plus grand bonheur, que malgré le givre qui frappait contre ma poitrine, je n’étais pas faible. Au contraire, cette chose que je devenais était la force elle-même. J’avais décidé, en voyant mon reflet dans les yeux assombris de ma mère, de déposer devant les miens un filtre de vibrantes couleurs. Car il était inutile et désolant de m’infliger cette souffrance quand on m’avait fait don d’un diamant. Celui-ci était le pouvoir des déesses. C’était une nouvelle façon d’accueillir ces changements. Ma vision dépendait des choses avec lesquelles je la nourrissais.

Les sanglots se sont arrêtés et j’ai levé la tête vers ma mère qui me tenait dans ses bras. 

—  Iness? 

— Je croyais m’être infligé la mort… j’avais tort. J’ai créé la vie! Aussi absurde que cela peut paraître, mère, je suis ce qui vient après l’obscurité. Je suis le pont entre nos deux mondes et je peux vous offrir une délectable immortalité dans la vie après la mort.

Des étincelles brillaient dans mes yeux et un sourire en coin effleurait mes lèvres. Je me suis levée et la force de la Terre a arpenté mon corps sur toute sa longueur. Je regardais, époustouflée, cet unique spectacle orchestré par le pouvoir qui surgissait de moi et je soutenais le regard apeuré d’Éléonore. Le ciel s’est mis à rugir. La pluie cognait contre le pavé des rues de la ville, le tonnerre s’accordait avec la cadence de mes pas et les vibrants éclairs m’éclairaient le chemin vers le centre de Sparte. Une traine de fumée noire décorée d’étoiles me suivait, laissant la trace d’une brûlante brume derrière elle. Devant moi, le reflet d’un paisible printemps brillait. Un regard par-dessus mon épaule me permit de voir la mort s’étendre dans les sombres rues. Je retournai mon attention sur la lumière éblouissante qui m’attirait effroyablement. Je marchais droit vers ma liberté sous un ciel déchiré entre l’obscurité et la rayonnante flamme de la vie. Lentement, doucement, les portes de mon royaume se sont ouvertes et je mis un pied dans les champs Élysées. Une robe rose s’écoula sur mon corps comme une affriolante rivière et un voile doré couvrait ma peau. Mes yeux brillaient sous les reflets du soleil et une couronne de pétales d’or se posa sur ma tête. J’étais devenue le pouvoir en chair et en os et une glorieuse mare d’eau enchantée s’était versée à mes pieds. Enfin, j’ai ouvert les bras et j’ai accueilli chaleureusement les âmes défuntes des héros de l’histoire.